Ecrit le 20 février 2020
« Le bien-être des animaux d’élevage est devenu un véritable enjeu de société comme en témoignent les nombreuses associations dédiées à sa défense, la multiplication de pétitions en ligne ou encore sa prise en compte croissante par les acteurs de l’aval des filières considérées : industries agroalimentaires et grande distribution Dans ce contexte, de plus en plus de consommateurs sont sensibilisés ».
Un groupe de travail au CESE (Conseil Economique et Social Environnemental) s’est saisi de cette question et a travaillé pendant un an, multipilant les auditions de spécialistes, en égtant bien conscient que certains modes d’élevage, d’abattage et de transports ne permettent aujourd’hui ni d’assurer de bonnes conditions de travail et de vie aux éleveurs et aux salariés, ni de traiter comme il convient les êtres sensibles que sont les animaux, ni de relever les enjeux environnementaux et climatiques. Le CESE a donc fait des recommandations dans son rapport qu’on peut consulter ici :
voir le site cese-bien-etre-animal
Ces recommandations concernent aussi l’accès à l’alimentation. En effet, face à l’importance grandissante que revêtent les enjeux relatifs à la souveraineté et à la sécurité alimentaires des peuples, les productions agricoles alimentaires doivent occuper une place à part au sein de l’économie et des activités productives, et ne pas être régies par les seules lois du marché. « Satisfaire les besoins alimentaires tant quantitatifs que qualitatifs dans le respect des éleveurs, des salariés ainsi que des écosystèmes, devrait constituer l’axe prioritaire des politiques publiques » tel est l’avis formulé par le CESE (Conseil Ecobomique et Social environnemental), présenté par deux femmes Anne Garreta (animatrice syndicale, groupe CGT, Narbonne) et Marie Noë lle Orain (agricultrice de Châteaubriant). Un avis très intéressant.
Faire en sorte que celles et ceux qui travaillent en contact direct avec les animaux puissent exercer leur métier dans des conditions satisfaisantes constitue un prérequis fondamental. Il structure l’ensemble de l’avis dont les préconisations s’appuient sur les différents échelons des filières, les territoires et les consommateurs.
Emotions
Des travaux scientifiques ont progressivement démontré que les animaux ressentaient des émotions et pouvaient donc éprouver des souffrances non seulement physiques mais aussi mentales. La prise de conscience qu’un animal n’est pas un produit mais un être sensible, a érigé le bien-être des animaux d’élevage en véritable sujet de société. « Elever ou produire des animaux, cela fait toute la différence »
l’avis du CESE ne vise pas à opposer, d’un côté, recherche de productivité et, de l’autre, bien-être animal, bonnes conditions de vie des éleveurs et des salariés ainsi que préservation de l’environnement et du climat. Il apparaît en effet possible de repenser des activités qui respectent simultanément l’humain, les animaux et la
nature. Le Cese formule des préconisations qui visent à permettre à tous les humains d’accéder à l’alimentation dont ils ont besoin, tout en veillant à la manière dont les animaux sont traités et aux limites des ressources naturelles planétaires.
Industrialisation
Sans pour autant considérer que la situation antérieure était idyllique tant pour les animaux que pour les humains, l’industrialisation des systèmes de production, débutée dans les année 60, pour une recherche accrue de productivité, peut causer des dysfonctionnements dans l’organisation du travail en raison de ses effets sur la santé physique et psychologique des salariés et des éleveurs.
Elle peut également avoir des conséquences négatives sur les plans sanitaire,
climatique et environnemental. En effet, la concentration d’animaux dans des bâtiments d’élevage augmente les risques de maladies infectieuses et leur propagation rapide face auxquels des traitements antibiotiques préventifs systématiques doi-vent être pratiqués.
De plus, elle provoque une perte de sociabilité et des comportements violents (caudophagie chez les porcs) pouvant entraîner de graves blessures, y compris pour les éleveurs, ce qui a conduit à mettre en œuvre des pratiques en contradiction avec le respect du bien-être animal (caudectomie des porcs, débecquage des volailles...).
démocratie sanitaire
Cinq libertés animales
– physiologique : absence de soif ou de faim prolongée... ;
– environnementale : absence d’inconfort... ;
– sanitaire : absence de douleur, blessure et maladie ;
– comportementale : pouvoir exprimer son répertoire comportemental (pour le porc, il peut s’agir de fouir le sol avec son groin, pour la poule de picorer et gratter, etc.) ;
– mentale : absence de peur et de détresse.
Face à ce constat, on peut considérer que si l’un des objectifs initiaux de la PAC « accroître la productivité de l’agriculture, par le progrès technique et l’emploi optimal des facteurs de production » a été atteint, il n’en est pas tout à fait de même s’agissant « d’assurer la sécurité alimentaire aux populations à des prix abordables », « d’assurer un niveau de vie équitable aux populations agricoles par un relèvement du revenu des agriculteurs », et de « garantir la sécurité des approvisionnements ».
Plus globalement, Corinne Pelluchon, philosophe, a fait part lors de son audition, des enjeux portés aujourd’hui par la cause animale en soulignant : « ... les conséquences morales, psychiques, économiques, sociales et politiques d’un ordre économique du monde où l’économie n’est plus mise au service des humains, où l’économie n’est plus l’administration sage de la maison, mais où elle devient une sphère autonome caractérisée par le profit. ».
L’industrialisation de l’agriculture a conduit à la fin de l’élevage, dans les zones désormais uniquement dédiées aux grandes cultures, y entraînant la disparition totale d’abattoirs pourtant essentiels pour l’activité économique locale. Même si leur fonctionnement, de même que les conditions d’abattage et de travail des salariés, n’étaient pas toujours exempts de critiques, ils remplissaient plusieurs fonctions sociales, notamment dans les territoires ruraux : maintien de l’élevage et de la boucherie traditionnelle ainsi que d’emplois directs et induits, valorisations de filières de qualité
Abattage
La recherche du profit peut conduire à des aberrations : « les grands élevages industriels travaillent souvent avec des structures d’abattage et de transformation de même taille, pas nécessairement installées à proximité immédiate, ce qui réduit les retombées positives sur l’économie locale. Il arrive même de plus en plus fréquemment que la recherche de profit conduise à transporter des animaux vivants sur de longues distances, y compris dans d’autres pays de l’Union européenne, comme en Allemagne où les coûts d’abattage sont moindres et les salaires moins élevés qu’en France, avant que leurs carcasses fassent le chemin inverse ». Heureusement on observe un accroissement des élevages pratiquant la vente directe pour tout ou partie de leur production via des circuits de proximité.
Face aux difficultés résultant de la raréfaction et de la concentration des abattoirs mais aussi pour limiter le stress et les souffrances des animaux, liés à leur transport, des structures mobiles se rendant sur les lieux d’élevage ont été mises en œuvre par certains États-membres comme la Suède et l’allemagne. Près de 60 % des éleveurs seraient favorables à cette solution car après avoir veillé sur leurs bêtes durant leur vie, ils se soucient des conditions de leur mort.
Alimentation à deux vitesses
Le CESE dénonce l’existence d’une alimentation à deux vitesses entre ceux qui peuvent s’offrir des produits d’origine animale issus de pratiques vertueuses et ceux dont les revenus ne le leur permettent pas. « Cette situation pose une question de démocratie alimentaire car rendre accessible à tous, une alimentation de qualité, respectueuse du bien-être animal, devrait être une priorité des politiques publiques. Parallèlement, cela amène à interroger les pratiques alimentaires sous l’angle de la qualité versus la quantité. Compte tenu du prix de revient d’une viande produite dans de bonnes conditions, en rémunérant de manière satisfaisante les éleveurs et les salariés, la question de la fréquence de sa consommation ne peut être éludée ».
Souffrir : la règle des 3 S
– supprimer la source de douleur lorsque celle-ci n’apporte aucun avantage pour les animaux et pour les éleveurs ;
– remplacer une technique source de douleur par une autre méthode ;
– soulager la douleur inévitable par des traitements pharmacologiques.
Les préconisations du CESE :
1 - s’appuyer sur les territoires et les filières pour faire évoluer les systèmes de production : Mettre en œuvre un plan national dédié pour assurer un maillage territorial équilibré des abattoirs de proximité notamment publics, en cohérence avec les projets alimentaires territoriaux (PAT) existants ou futurs.
Il peut aussi intégrer des solutions alternatives adaptées, comme les abattoirs mobiles et les caissons d’abattage, dont les conditions sanitaires seraient contrôlées. l’attribution de soutiens publics à la création d’abattoirs dans le cadre de ce plan, doit être conditionnée à une réelle prise en compte du bien-être animal.
2 - Privilégier des modes d’élevage respectueux du bien-être animal et de l’environnement grâce à la réglementation et aux politiques publiques. Certaines pratiques comme l’écornage, l’épointage et le débecquage, la castration, généralement sans prise en charge de la douleur, sont encore fréquentes en France, Il convient donc d’engager dès à présent les élevages dans une véritable transition respectant le bien-être animal. l’allemagne par exemple verse 16,5 € par cochon à la queue intacte à l’abattoir, preuve que l’éleveur lui a fourni un environnement permettant d’éviter la caudectomie.
3 - Améliorer les conditions de transport des animaux, en plafonnant les durées de transport des animaux vivants et en prévoyant des temps de pause plus longs.
4 - Garantir de bonnes conditions d’abattage, permettre aux salariés et salariées d’abattoirs d’exercer leur métier dans de bonnes conditions et veiller à ce que les dispositions en faveur du bien-être animal n’aggravent pas leurs conditions de travail. Prise en compte de la pénibilité, mise à disposition d’équipements ergonomiques (exosquelettes...) ; de matériel adapté et en état de fonctionnement optimal. Le Comité économique et social européen a considéré que « faire une exception pour l’abattage rituel n’est pas cohérent avec l’objectif de protection des animaux » . L’ordre des vétérinaires a émis un avis sur l’abattage des animaux (24/11/2015) : « Tout animal abattu doit être privé de conscience d’une manière efficace préalablement à la saignée et jusqu’à la fin de celle-ci. » Au-delà de l’animal, il est important de prendre en compte les dangers auxquels sont exposés les salariés pendant cette période d’agonie où l’animal est incontrôlable.
5 - Réorienter la recherche pour permettre à l’élevage de mettre en œuvre, en particulier en matière de bien-être animal, la réduction de notre dépendance aux énergies fossiles et la lutte contre le changement climatique. « La sélection génétique, quelles que soient les modalités de sa réalisation, ne doit pas avoir pour effet de réduire le bien-être des animaux ou de diminuer leur aptitude au bien-être ».
6 - Rendre accessible et mobiliser la formation tout au long de la vie
7 - Empêcher l’importation de viande qui ne respecte pas le bien-être animal
8 - Responsabiliser les consommateurs et répondre à leurs attentes.
Le CESE suggère de renforcer la prise en compte du bien-être animal dans la conditionnalité des aides sur la base d’un niveau de normes minimales plus exigeantes en la matière, fixé au niveau européen, avec même la suppression des subventions aux exploitations qui ne respectent pas ces normes. Et parallèlement de reconnaître financièrement le respect d’un niveau de bien-être animal supérieur aux standards européens, notamment pour la prairie ou l’accès au plein-air pour les porcs ou les volailles.
A partir de la page 68, l’avis du CESE est commenté par les différents groupes qui composent cette instance.
Du côté du ministère
Attendue depuis des mois, la stratégie pour la protection et l’amélioration du bien-être animal a été présentée le 28 janvier, par le ministre de l’agriculture, Didier Guillaume. Le plan gouvernemental, qui vise à fois les animaux d’élevage et de compagnie, comprend deux mesures phares déjà évoquées dans le passé : l’interdiction de la castration à vif des porcelets et l’interdiction du broyage des poussins à partir de la fin 2021.
Plus globalement, un décret sera prochainement présenté au conseil d’État, pour aller vers l’interdiction de toute pratique douloureuse en élevage et pouvoir imposer un référent bien-être animal dans chaque élevage.
Les conditions de transport seront également renforcées. Des textes réglementaires seront pris au 1er semestre pour pouvoir augmenter les contrôles sur les transports de longue durée, en habilitant les vétérinaires privés. L’objectif est d’assurer 5% de contrôles au chargement des animaux. Les sanctions seront élargies, en cas de non-respect de la réglementation.
Enfin, des mesures sont prises pour lutter contre l’abandon des animaux de compagnie. Un texte réglementaire sanctionnera très prochainement l’absence d’identification des chats, au même titre que pour les chiens. Afin de prévenir les achats impulsifs, la vente d’animaux sera interdite dans les véhicules ; la vente dans les foires et expositions ne sera possible qu’en présence d’un vétérinaire.