Ecrit le 19 mars 2008
Cet article est un texte de réflexion à partir d’un cas douloureux, celui de Chantal sébire.
Chantal sébire, 52 ans, mère de trois enfants, est atteinte depuis 2002 d’un Esthesioneuroblastome, tumeur évolutive des sinus et de la cavité nasale qui, dit-elle, « se développe comme un liseron autour du nerf olfactif, sans solution chirurgicale ou médicamenteuse »
Incurable, cette maladie orpheline - 200 cas ont été recensés dans le monde en 20 ans - est accompagnée d’atroces souffrances. défigurée, Chantal sébire a annoncé le 6 mars son intention de partir en Suisse pour y mourir. Elle a d’ailleurs transmis son dossier à l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD).
Elle a aussi, par voie d’avocat, demandé le droit de mourir. Dans cette affaire on parle beaucoup d’euthanasie. Mais ne s’agit-il pas plutôt d’un suicide médicalement assisté ? Un médecin est prêt à lui fournir du « thiopental sodique » qu’elle pourra absorber elle-même, selon sa volonté, quand elle estimera qu’elle ne peut plus, qu’elle ne veut plus vivre.
Quelle solution ?
Chantal sébire refuse d’être hospitalisée, assommée de médicaments anti-dou-leurs : « Ce que la médecine peut me proposer c’est d’être allongée et alitée, et d’attendre ainsi la mort. Je refuse cette situation, car elle n’est ni adaptée à mon tempérament ni à ce que je subis. Je ne veux pas que la société m’oblige à passer par cette étape, c’est une question de dignité » dit-elle.
Les avis sont partagés. Quel est le vôtre ?
Dans cette histoire il y a deux points de vue : celui de Chantal elle-même et celui de la loi. Et tout est faussé par le jeu de l’émotion.
La justice a refusé de se prononcer. Du point de vue de la société, il importe de réfléchir, à froid, à l’évolution de la Loi léonetti, adoptée en avril 2005, qui permet l’arrêt des traitements et l’administration massive de médicaments anti-douleur, même s’ils présentent un risque mortel, mais exclut l’aide directe à la mort de patients agonisants.
Un lecteur nous écrit : " tout acte visant à provoquer la mort est répréhensible. Le médecin ne peut donner la mort, il peut seulement suspendre des traitements, ce qui aura le même résultat
L’appel de détresse d’une femme souffrant horriblement et irrémédiablement pose un problème dramatique : droit de mourir et devoir de vivre . Tout le monde est extrêmement embarrassé : chacun(e) de nous, les Pouvoirs Publics, les Responsables religieux. Toute décision, toute réponse négative ou positive à cette malade soulève un dilemme sans issue. Seuls trois Etats ( Belgique, Pays-Bas et Luxembourg, ont risqué une solution positive, assortie de conditions cependant : liberté totale du malade, impossibilité d’une autre solution, avis d’un autre médecin). La Suisse ne s’est pas risquée : sa législation ignore totalement le problème, d’où l’absence de poursuites pénales pour qui aurait « aidé » à mourir .
L’Eglise ? Elle est aussi embarrassée que quiconque. Elle maintient haut et fort son opposition au suicide lequel est considéré comme « violation de la Loi Divine ». Encore faudrait-il déterminer la liberté de décision de la personne qui se donne la mort.
Alors, l’impasse totale ? C’est évident. Nous sommes là au delà du « raisonnable », de ce qui peut être expliqué humainement par des gens compétents, éclairés et reconnus comme tels. Tout compte fait, j’aime mieux une Eglise qui n’a pas réponse à tout. Elle est, dans son organisation humaine, faite de grandeur et de limites, et aussi de faiblesses .
J’ai trouvé dans un récent discours du Pape (dont la rigueur en matière morale déroute chrétiens et non-chrétiens) une ouverture remarquable .
S’adressant à des centaines de scientifiques du monde entier réunis à Rome, il a insisté très fortement sur le « mystère de l’homme Le mystère insondable de son être et de sa mission La science ne peut et ne pourra jamais définir les critères du bien ». C’est d’un autre ordre. Pour moi la mort et la Résurrection de Jésus, mystère de Foi, m’invitent à un autre regard, à une autre interrogation : même par le suicide, ne peut-on passer de la mort à LA VIE, La Vie éternelle ?
Il fut un temps où les suicidés n’avaient pas droit aux « honneurs liturgiques ». Il est significatif qu’aujourd’hui l’Eglise les accueille dans sa maison. "
Mourir dans la dignité
Il existe une association qui, en France, milite pour le droit de mourir dans la dignité. Elle publie des témoignages :
Voir : http://jusqualafinmonchoixdevie.midiblogs.com/
« Grand mère est morte après avoir passé 5 mois à regarder le plafond de sa chambre, refusant la nourriture qu’on lui a donnée de force, réclamant tous les jours une piqûre comme celle qu’elle avait demandée pour ses chiens et chats, refusant cette dépendance forcée, 90 ans ! elle avait conservé son esprit mais le corps était bloqué, impossible de bouger. méritait-elle cette fin horrible ? c’était une femme courageuse, indépendante toute sa vie, qui voulait mourir debout. Si elle avait pu, elle se serait suicidée, par quelque moyen que ce soit, mais la veille, elle était debout, capable de se gérer, le lendemain, impossible de bouger, comment se suicider ? »
« Mon père est dans un état de démence sénile avancée, suite à des AVC, 98 ans. A 97 ans, on l’a emmené de force aux urgences, en refusant de l’aider à mourir, selon sa volonté exprimée. Maintenant sa vie sans cerveau fait de la vie de ma mère un calvaire de chaque jour : elle a 94 ans, mon père ne voulait pas lui infliger cela, il nous avait dit avoir préparé un vieux pistolet, on ne sait pas où, dont il ne sait plus ni l’existence ni l’usage... et elle veut s’en occuper seule, par dignité, pour elle et pour la société à laquelle ils ont toujours refusé de faire dépenser inutilement de l’argent. Ils cachent leur malheur : »les oiseaux se cachent pour mourir« , eux aussi, ils attendent chaque jour que la mort vienne les délivrer... »
« Notre fils Hervé est décédé après huit ans et demi de coma végétatif irréversible, après application de cette loi » du laisser mourir de faim et de soif « en six jours d’une agonie atroce (il était comme électrocuté). Après la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg qui ont légiféré pour une exception à l’euthanasie, quand la France fera-t-elle preuve d’humanisme ? ».
Chantal et Lazare
En même temps que l’on parle de Chantal et de ses souffrances, on rend hommage à Lazare Ponticelli, dernier « Poilu » de la guerre de 14-18, dernier survivant de ces 10 millions de soldats, envoyés se faire tuer lors de la première guerre mondiale. « Curieux parallèle entre cette femme qui demande sa fin de vie et cet homme qui a perdu vingt ans de la sienne et qui est resté marqué jusqu’Ã cent dix ans des traces de cette stupidité » (1)
« Qui sommes-nous pour juger ? A-t-on demandé à tous ces hommes qu’on a envoyés à l’abattoir s’ils acceptaient cette sentence, s’ils étaient d’accord avec cette loi qui les envoyait se faire tuer ? »
Des millions de jeunes sont partis vers la mort dans une certaine indifférence. Mais pour une femme qui demande à mourir les passions se déchaînent.
Une seule liberté nous reste : la liberté de disposer de notre propre vie. Au-delà de toutes croyances, respectons la volonté d’une personne qui demande, qui supplie d’être écoutée.
Courrier des lecteurs - 26 mars 2008
La vie ? la mort ?
Pour les croyants, nous serions tous des enfants de Dieu, nous donnant la vie et nous rappelant à lui le moment venu, bébé, enfant, jeune ou moins jeune. La vie serait sacrée et divine et nous n’aurions pas le droit de la violer. « Tu ne tueras point » est l’un de ses commandements !!
Alors pourquoi tant de massacres et de guerres faites en son nom ou avec la bénédiction de ses représentants ? Pendant les deux guerres du XXe siècle combien de prêtres des armées ont béni les régiments qui allaient se faire tuer ? Si tous les prêtres et croyants de tout bord avaient dit NON au nom de la loi divine et du commandement divin « tu ne tueras point » n’allez pas tuer votre frère !" les dirigeants des pays de l’époque auraient été obligés de trouver une autre solution pour régler leurs différends.
Aujourd’hui la demande de Madame Chantal sébire de mettre fin à sa vie, pose un cas de conscience à tous et surtout aux croyants ! Je soutiens cette dame car je ne suis pas croyante, et je revendique le droit de mourir quand je le veux parce que je n’ai pas demandé à naître !
En même temps je respecte les croyants et leur loi divine qui n’appartient et qui ne s’applique qu’Ã eux. Un Etat laïque est un état qui respecte les croyances et les non-croyances ! La Morale Humaniste et la Morale des Croyants doivent se rejoindre pour que l’Homme puisse vivre en respectant Chacun selon sa conviction intime. Le législateur doit légiférer dans ce sens.
J’ai été très intéressée par la lecture de votre article et notamment par l’extrait d’un discours du Pape parlant sur « le mystère de l’Homme... », parlant du suicide, passage de la mort à la vie éternelle...Commençons par rêver et croire que tous les croyants du monde, aujourd’hui, s’engagent à ne plus tuer.... Que de milliards dégagés à ne pas faire la guerre et investis dans la recherche pour le mieux être des Hommes.
Aujourd’hui l’avancement de la recherche scientifique ne donne pas de remède à Madame sébire pour la soulager, laissons-là choisir entre vivre ou mourir !
Source : http://ritondecannes.canalblog.com/archives/2008/03/13/8307247.html
Note du 21 mars 2008 : Chantal sébire a été trouvée morte chez elle, le 19 mars 2008 :
http://www.lemonde.fr/societe/article/2008/03/21/chantal-sebire-maitresse-de-sa-mort-comme-de-sa-vie_1025759_3224.html
La famille demande aux médias de lui laisser « faire le deuil » :
http://afp.google.com/article/ALeqM5hqfaBfzSufTIx6r_-MjdKrzjao_A
De la volonté de mourir à la mort volontaire :
http://www.liberation.fr/actualite/societe/317070.FR.php
(1) La mort de Lazare Ponticelli :