Écrit le 17 février 2016
Valérie Jousseaume a été invitée devant le Conseil départemental 44 pour dresser un tableau de la Loire-Atlantique et de son avenir. Elle rappelle que la population de ce département a doublé depuis la fin de la seconde guerre mondiale et qu’il y a même accélération depuis une vingtaine d’années. Cette évolution de population concerne tout le département, la croissance s’opérant surtout dans la Troisième couronne péri-nantaise.
La croissance de l’emploi est plus concentrée dans l’espace. L’agglomération nantaise est un moteur de la création d’emploi mais celle-ci se produit dans tout le département sauf dans quelques communes du quart Nord-Est [Région de Châteaubriant]. L’emploi agricole a plombé l’emploi dans les espaces ruraux. Entre 1968 et actuellement, l’agriculture a perdu 75 % de ses actifs du fait de la modernisation de l’agriculture. Aujourd’hui on peut penser qu’on n’ira guère en dessous et qu’on verra les espaces ruraux créer de l’emploi non agricole.
La Loire-Atlantique a un gros atout, elle a bien intégré la dissociation historique entre les lieux de la croissance et les lieux du développement. Jusqu’à il y a une trentaine d’années, les endroits qui créaient de la richesse étaient ceux qui se développaient le plus socialement et en termes de revenus. Un jeune partant à Paris savait qu’il allait y trouver de l’emploi mais aussi une amélioration de son statut social. Aujourd’hui, un jeune partant à Paris sait qu’il va trouver du travail, pour autant il sait aussi que ce n’est pas là qu’il va avoir le plus de revenus. Et dès qu’il va pouvoir, il reviendra en province où il aura proportionnellement un meilleur niveau de vie. C’est l’ile de France et le Nord-est de la France qui produisent le plus de PIB mais l’amélioration du revenu concerne essentiellement le sud et l’ouest de la France. Aujourd’hui, créer de la richesse et bénéficier de cette richesse, ce sont deux logiques différentes et la Loire-Atlantique se débrouille très bien puisqu’elle arrive à créer de la richesse et en même temps à la fixer sur place.
Trois thématiques
Mais elle ne doit pas s’endormir sur ses lauriers car les territoires ont des cycles de vie. Rejoignant les propos de Laurent Davezies, Valérie Jousseaume dit qu’à la fin du XIXe jusqu’au milieu de XXe , on avait une dynamique essentiellement dans le quart Nord-Est de la France, c’était là où il y avait le plus de développement, où la population française était le plus alphabétisée, le plus scolarisée. L’endroit le plus dynamique est devenu le sud de la France dans les années 1960-1970. Aujourd’hui c’est plutôt la moitié ouest de la France qui bénéficie d’une forte dynamique. La question : comment conforter le dynamisme de la Loire Atlantique.
Trois pistes de réflexion
1) la démographie.
Nous sommes passés de l’exode rural à la ruée vers les campagnes, l’industrie s’est concentrée dans les villes, et a généré une grande ’’inspiration’’, les populations paysannes sont devenues ouvrières. Depuis 1968 on observe une ’’expiration’’, une rediffusion de la population dans l’espace en même temps qu’une mutation de notre économie vers une société plus tertiaire. On appelle cela de la péri-urbanisation. L’enjeu : comment éviter la grande banlieue informe. Parce que notre société a des rêves. Jean Viard dit que les gens ont pour idéal ce qu’ils ne peuvent avoir dans la réalité.
â–º avant la révolution industrielle : le rêve de l’abondance
â–º 1900-1970 : le rêve de la modernité, le progrès technique susceptible d’apporter le bonheur, l’idéal c’est la ville, le béton, les portes automatiques, les escalators, la technique, la science.
â–º maintenant : le rêve du tourisme . Dans une société d’instabilité, où l’emploi manque, c’est le rêve d’être en vacances tout le temps et partout. Dans le logement : la terrasse, le jardin, le barbecue. Dans les lieux de vie : les plus beaux villages de France. Au travail : vêtements décontractés, environnement décontracté. Dans la consommation : les marchés de Provence. La banlieue informe serait très répulsive pour cet imaginaire.
Pour cela, il faut que le politique se réapproprie le pouvoir sur l’urbanisme, redonnant la primauté à la pensée locale, aux réponses locales, sur les mécanismes immobiliers de grande échelle. Actuellement on a une juxtaposition de projets immobiliers qui ne font pas bourg, ville, société. Il est important d’abandonner le zonage systématique pour retrouver la mixité (économique, sociale, générationnelle, architecturale, homme/nature). Car le paysage que l’on crée génère des sensations sur les gens (on se sent bien ou pas bien), il influe sur les comportements des gens (plus un environnement est beau et plus les gens l’embellissent. En revanche les paysages dégradés sont dégradants et les habitants participent à cette dégradation). Il faut donc inverser le chaînage de la réflexion : savoir ce que l’on veut procurer aux gens et ensuite dessiner le territoire.
2) les modèles.
Notre société passe du rêve de l’émancipation urbaine (individualisation, salariat, promotion sociale, modernité, équipements) à celui de la convivialité rurale (se nourrir soi-même, recyclage, économie du partage, covoiturage, colocation, achat de matériels en commun). Un architecte suisse Peter Versteegh développe l’idée de l’alter-ruralité : il faut redonner vie à un imaginaire rural, pas un imaginaire projeté par les citadins, il faut que les ruraux eux-mêmes donnent voix, proposent un rêve novateur, intense, de grande qualité de peuplement, un lieu humain, libéré. L’enjeu pour la Loire-Atlantique est de valoriser les territoires du département, ici la grande ville dense, là des espaces ruraux novateurs ou un littoral vivant, jouer sur cette complémentarité.
Pour cela :
â–º que la campagne soit fière d’être la campagne ! Nantes replante des arbres fruitiers autour du château. Des communes cherchent à créer des potagers ici ou là . Il y a quelque chose à cultiver, d’un point de vue paysager mais aussi d’un point de vue social.
â–º veiller à la pérennité de l’agriculture qui rémunère l’agriculteur et qui crée du paysage, de l’ornementation végétale, sinon, bientôt, dans certaines régions, on va pleurer de ne plus avoir d’agriculteur.
â–º il faut coordonner le vocabulaire. Il y a une inflation de l’ego des élus. La moindre petite bourgade s’appelle ’’ville’’, une petite ville se veut ’’ville moyenne’’. Châteaubriant, Ancenis sont plutôt des petites villes. St Nazaire est une ville moyenne.
â–º la structure du peuplement dans notre département c’est le village. Il faut maintenir ce caractère.
3) Le sens.
Notre société évolue de l’avoir vers l’être. Le progrès technique a apporté une amélioration considérable des conditions de vie qui n’est pas à remettre en cause. Ce progrès technique, qui devait nous amener au bonheur, croyait-on, est devenu un but. Mais on commence à se poser la question : que voulons-nous, au-delà du ’’plus’’. Quel est le sens de notre vie ? L’enjeu : c’est que les élus soient capables de donner du sens, pour éviter l’égarement, la folie collective.
Michel Billé a publié un livre sur la société malade d’Alzheimer : Perturbation du rapport au temps, à l’espace, amnésie collective, perturbation de la langue et de la capacité à nouer des relations sont autant de symptômes d’une société malade, société de déliaison qui peine à nouer des relations de solidarité.
– Nous sommes égarés dans le temps : ce ne sont plus les Anciens qui apprennent aux Jeunes, ce sont les Jeunes qui apprennent aux Anciens. Notre mode de vie est hors-sol, déconnecté des saisons. Par le passé, vieillir avait un sens (connaissances, sagesse), aujourd’hui vieillir c’est devenir obsolète, ce qui est très angoissant.
– Nous sommes égarés dans l’espace ! « J’ai eu ces temps derniers deux personnes qui ne pouvaient pas aller à un rendez-vous car elles n’avaient pas de GPS » dit V.Jousseaume. Autrefois, lors des départs en vacances, on montrait le paysage aux enfants, le vignoble, la Garonne. Maintenant les voitures ont des vitres noires et des lecteurs de DVD pour occuper les enfants. Être égaré dans l’espace c’est aussi être dans un lieu en France et pouvoir communiquer en direct avec quelqu’un aux États-Unis. On peut être ici et ailleurs !
– Nous sommes égarés dans la relation à l’autre, car nous sommes tous connectés mais nous avons des difficultés dans cette société très compétitive, on en devient un peu inhumain.
– Pour les élus, il est important d’expliquer le sens humain des actions, au-delà de l’efficacité gestionnaire. Exemple, expliquer aux gens pourquoi on va faire des communes nouvelles, au-delà de dire ’’il n’y a plus de sous dans la caisse’’.
2) Penser la mobilité, penser aussi l’ancrage, dans l’espace (ici dans cet endroit-là qui ne ressemble pas aux autres), et dans le temps. Matérialiser et symboliser les centres-bourgs.
3) Revaloriser l’espace collectif pour revaloriser le lien collectif. Comment, entre individus, recrée-t-on un lien humain, un lien positif entre les gens ? L’aspiration à la beauté est trop négligée, alors que la beauté influence les comportements, parle de la valeur de soi-même. Comment parler au cœur des gens, valoriser ce qu’il y a de mieux en eux, faire vibrer quelque chose d’humain ?
Conclusion : organiser le redéploiement des populations dans l’espace. Penser le peuplement de la société nouvelle. Conjuguer émancipation urbaine et convivialité rurale. Donner signification et direction à cette société nouvelle.
La vidéo de la conférence
Portrait des campagnes de l’Ouest
La société malade d’Alzheimer
décrochage
La lutte contre l’échec scolaire constitue une priorité du projet 2015-2021 du CD44. Celui-ci soutient l’action de la FAL44 (fédération des Amicales laïques) qui a été retenue pour la Fondation de France, consistant à accompagner les élèves qui nécessitent le plus de soutien dans leur parcours au collège, afin de lutter contre l’absentéisme et prévenir une déscolarisation future.
Deux actions y sont déclinées,
– la médiation par les élèves eux-mêmes
– et l’accueil externalisé d’élèves exclus avec une prise en charge cohérente et globale des collégiens en difficultés. L’objectif recherché : maintenir les élèves dans un cursus scolaire accepté par chacun des jeunes pour que le moment venu, ils puissent choisir et agir sur leur parcours de vie.
Le CD44 a donc accordé une subvention de 10 000 € pour l’année scolaire 2014-2015 à la FAL44.