Ecrit le 19 avril 2017
ESAT : Etablissement et Service d’Aide par le Travail. Il y en a un à Châteaubriant. Tout est rose, par devant, mais par derrière, il peut se passer des choses plus désagréables, du harcèlement par exemple, qui vient d’être reconnu par la Cour d’Appel de Rennes. L’histoire est un peu ancienne. Un document de la CFDT publié début février 2015 mettait en cause l’employeur ADAPEI et la directrice de l’époque.
La CFDT relevait en effet que l’ADAPEI avait engagé une démarche RSE (Responsabilité sociétale de l’Entreprise), présentée aux salariés et mise en modèle par voie de presse mais en contradiction avec son attitude sur le terrain, à l’ESAT de Châteaubriant où la direction, « depuis trop longtemps, mettait ses employés à mal ».
Cette souffrance du personnel se manifestait par de nombreuses démissions, des découragements et même un licenciement. Voyons le détail.
Tout a commencé peu de temps après l’arrivée de la nouvelle directrice. On sait bien qu’une nouvelle direction crée toujours des changements. L’Esat de Châteaubriant est habitué aux changements de direction (4 directeurs en 30 ans) et surtout aux changements de personnel : les travailleurs handicapés obligent à de perpétuelles remises en cause.
Le problème est venu lorsque la directrice de l’époque, manquant peut-être de pratique et/ou d’une autorité naturelle, a cherché à s’affirmer de multiples façons, en particulier en mettant en cause les plus anciens membres du personnel (vite qualifiés de fortes têtes), en allant jusqu’Ã conseiller aux jeunes embauchés de se méfier des anciens. Belle ambiance !
La Directrice, aussi, a souhaité gouverner seule, mettant fin à la concertation qui existait avec le personnel, quitte à faire machine arrière ! Par exemple, la Direction a mis un jour fin au système, longuement réfléchi, voulant que chaque travailleur dispose de deux référents : un pour le travail, l’autre pour sa vie personnelle. Puis elle l’a rétabli !
18 en 4 ans
La situation s’est dégradée au point que 18 membres du personnel ont quitté l’ESAT de Châteaubriant en quatre ans dont trois seulement en départ normal ou en retraite. Quelques-uns ont eu la chance d’avoir trouvé un autre poste. Pour les autres, il y a eu rupture conventionnelle, ou congé sabbatique dans l’espoir de trouver autre chose, ou démission sans solution d’emploi.
Le psychologue et le psychiâtre ne voulaient plus venir. Les personnels qui partaient n’étaient pas remplacés immédiatement (empêchant ainsi toute transmission des dossiers) et les personnes embauchées, malgré leur bonne volonté, n’avaient pas les compétences voulues. Les travailleurs handicapées constataient ce va-et-vient et étaient en perte de repères.
Les personnels qui restaient disaient : « On subit, on se serre les coudes. Oh, certes ! Nous avons des relations courtoises avec la directrice, mais, au-delà des apparences il n’y a plus de travail d’équipe, malgré les nombreuses réu-nions qu’elle nous impose : c’est la directrice qui décide de tout ». Les personnels n’osaient plus s’exprimer. Une bonne façon de gâcher des compétences !
Placard
Pour virer, ou faire partir les ’’anciens’’ rien de tel que des décisions autocratiques, pour l’exemple. Ainsi une salariée, à deux ans de la retraite, a été progressivement dé-saisie de toutes ses responsabilités. « La dernière année, je venais au boulot pour jouer sur mon ordinateur toute la journée ». Une typique mise au placard !
Une autre salariée, 30 ans d’ancienneté, a été progressivement dépouillée de certaines de ses tâches : relation avec la clientèle, gestion des appels d’offre, réception et ouverture du courrier, relation avec les fournisseurs, rapports avec l’équipe éducative La direction a même demandé à des membres du personnel du siège social de ne plus communiquer directement avec elle ; elle lui a retiré les clés des bâtiments, les achats de papeterie, la participation aux réunions de secteur.
Les documents nécessaires à son travail de facturation lui ont été systématiquement remis en retard malgré ses réclamations, situation qui engendrait du stress et de grandes difficultés à organiser son planning. [source : témoignage au Conseil des Prud’hommes]
La directrice ne répondait pas toujours à son salut alors qu’elle serrait la main aux autres salariés présents et, un jour, alors que cette salariée proposait d’informer l’équipe éducative de la disparition d’une somme d’argent dans la caisse de l’établissement et précédemment dans la cagnotte collectée pour le départ d’une collègue, la directrice le lui a formellement interdit, la menaçant même d’avertissement et ajoutant : « Tu as mauvais esprit, tu prends plaisir à remuer la merde ».
Stress
Cette situation a conduit à « un stress anxio-dépressif réactionnel assurément lié aux changements opérés dans l’établissement » comme le reconnaît l’aDAPEI. Le médecin du travail a prononcé une inaptitude. De ce fait, la salariée a été licenciée.
En novembre 2014, le Conseil des Prud’hommes a annulé le licenciement et condamné la directrice à lui verser 1500 € pour harcèlement. Il a aussi condamné l’ADAPEI à lui verser des arriérés de salaire et une indemnité.
L’ADAPEI a fait appel de ce jugement, le rendant ainsi suspensif (lire plus loin). Le Conseil d’administration de la section locale de l’ADAPEI, sentait bien qu’il y avait quelque chose mais n’en avait pas été formellement avisé et comme la présidente locale avait pris fait et cause pour la Directrice, en disant qu’elle n’avait pas constaté de faits de harcèlement, la confiance ne règnait pas ! La section départementale de l’ADAPEI avisée dès novembre 2010, n’avait pas réagi.
Mais le tract de la CFDT a eu un fort écho au sein du personnel, et a poussé l’aDAPEI à réagir, enfin. Le président départemental s’est déplacé en personne, avec son directeur des ressources humaines. Il s’est heurté au silence absolu du personnel et a compris, lui aussi, qu’il y avait un gros problème.
Finalement la directrice a été licenciée remerciée en octobre-novembre 2015. Le nouveau directeur, lors de l’assemblée générale de juin 2016 a reconnu : « la page est dure à tourner ».
Gagné en appel
La justice met toujours du temps à réagir. Finalement la Cour d’Appel de Rennes a rendu son arrêt le 3 février 2017. Il a fallu laisser à l’aDAPEI le temps de faire appel, mais il n’y a pas eu d’appel, l’affaire est donc terminée.
La Cour d’Appel a tenu compte de « faits précis et concordants, pris dans leur ensemble, permettant de présumer l’existence d’un harcèlement moral » et a confirmé « la nullité du licenciement prononcé pour inaptitude » donnant droit à une indemnité de préavis et à des dommages-intérêts, « au regard de l’ancienneté de la salariée dans l’association et de son âge au moment du licenciement ».
l’aDAPEI avait jusqu’au 6 avril 2017 pour verser les indemnités qui lui incombaient. Ultime vexation : elle a attendu le 6 avril au matin pour le faire. Mais, qu’importe, c’est fait.
Sans remettre en cause ce jugement, tout à fait équitable, une salariée de l’association interroge : avec quels fonds l’ADAPEI a-t-elle payé les indemnisations relatives à l’annulation du licenciement et les dommages liés au harcèlement moral ?
– Avec les fonds publics de la dotation globale de fonctionnement de l’établissement (avec nos impôts à tous donc) ?
– Ou avec les fonds propres de l’association (dons de particuliers, qui je suppose, ne donnent pas leurs sous à l’ADAPEI pour financer les conséquences de l’incurie de ses directeurs) ?
– ou produit des ventes de brioches effectuées sur les marchés par des bénévoles qui se lèvent de bonne heure pour améliorer l’ordinaire des établissements ?
BP