Ecrit le 31 mai 2000 :
OGM pour les pauvres
Terminator
Les OGM, c’est assez bon pour les pauvres
La Conférence de Montréal sur les OGM (organismes génétiquement modifiés) s’est conclue le 29 janvier 2000 par la signature du Protocole dit de Carthagène.
Le principal point de ce Protocole porte sur la procédure d’importation des OGM qui permet d’informer d’avance le pays destinataire du contenu de produits comme les semences, le poisson vivant et les autres OGM qui sont « introduits intentionnellement » dans l’environnement.
Le principe de précaution
Les produits en vrac pour l’alimentation humaine ou animale qui contiendront des OGM devront porter un label établissant que l’expédition « peut contenir » des OGM. Le Protocole permet en outre aux pays importateurs d’invoquer le « principe de précaution », c’est-Ã -dire, concrètement, d’interdire l’utilisation de produits contenant des OGM, comme l’ont fait les villes de Lorient, Quimper, Rennes, Brest, Fougères pour leurs cantines scolaires
L’accord de Carthagène a reçu le soutien d’un certain nombre d’organisations : « Il pose les fondations pour un accord futur plus ambitieux qui devrait protéger l’environnement des OGM » (dit Benedikt Heerlin de Greenpeace).
En revanche l’association des Producteurs céréaliers américains est ... beaucoup moins enthousiaste. Son représentant pense que pour labelliser les OGM destinés à l’export, il faudrait qu’ils soient différentiés sur le territoire des USA. D’après lui les silos des Etats-Unis ne sont pas équipés pour opérer la séparation entre les produits avec OGM et les produits sans OGM. Il en résulterait une élévation du coût pour ces derniers !
Risques et avantages
Le débat est loin d’être clos sur les risques et les avantages des OGM. Les risques ? il est possible que les gènes introduits dans le patrimoine génétique de certains organismes se diffusent à d’autres plantes, avec des conséquences sanitaires importantes : renforcement de la résistance aux antibiotiques et aux pesticides, diminution de la biodiversité globale.
Mais les OGM peuvent aussi présenter des avantages : accroître la productivité des espèces cultivées, permettre de doter certaines plantes de propriétés médicinales ou d’une meilleure richesse nutritive. On cite le cas du « riz doré » : « Ce riz, développé par des instituts publics suisses et allemands, a reçu des gènes de petit pois, d’un virus qui attaque le chou-fleur, d’une bactérie et d’une fleur, le narcisse, afin de produire du betacarotène (vitamine A). Cette semence pourra être utilisée par de petits agriculteurs et les consommateurs du monde entier parce qu’elle restera libre de la protection des industries privées c’est-Ã -dire des brevets »
Des produits nouveaux avec d’innombrables qualités, avec des suppléments vitaminiques, et une meilleure richesse nutritive, ce serait bien, à condition de savoir maîtriser les risques liés aux OGM. Risques que nul ne sait évaluer maintenant.
Garanti sans OGM
En tout cas, les industriels de l’agro-alimentaire déclinent le thème de la « sécurité ». Par exemple, la SOPARVAL, filiale de la coopérative agricole CANA, vient de sortir un poulet « label rouge garanti sans OGM », élevé exclusivement au soja d’origine française, lequel est, dit-on, produit et traité à part et transformé dans une usine dédiée à ce seul usage. Le prix de revient est augmenté de 7 à 8 %.
Ecrit le 28 juillet 2000 :
OGM ... méfiance
Le rapport de la commission d’enquête parlementaire, présidée par Félix Leyzour (PCF) et Daniel Chevallier (PS), respectivement députés des Côtes d’Armor et des Hautes-Alpes, sur « la transparence et la sécurité sanitaire de la filière alimentaire en France » a été rendu public mercredi 5 avril.
Après quelque 160 auditions organisées, durant un semestre, dans le cadre d’une dizaine de forums, après avoir entendu les arguments de parlementaires, de scientifiques, de responsables industriels, de dirigeants de syndicats agricoles et d’associations de consommateurs, la commission d’enquête constate que, s’ils sont bien acceptés par l’opinion dans le domaine pharmaceutique, les organismes génétiquement modifiés (OGM) « sus-citent un scepticisme croissant dans le domaine alimentaire ». Dans l’attente des futurs résultats qui pourront être obtenus en matière de sécurité des consommateurs, la commission « estime prématurée la mise sur le marché de nouveaux produits issus d’organismes génétiquement modifiés » et « demande que, faute des éléments susceptibles d’établir pour l’instant leur innocuité, leur commercialisation ou leur mise en circulation soit clairement interdite. »
Vache folle
Sur le dossier de la « vache folle », les membres de la commission, après avoir longtemps hésité, ne demandent pas l’interdiction totale de l’utilisation des farines animales dites de viandes et d’os. Ils estiment que ces farines peuvent continuer à être utilisées dans l’alimentation des porcs, des volailles et des poissons, à condition toutefois que les pouvoirs publics modifient la réglementation concernant leur mode de fabrication et que, au nom de « la sauvegarde sanitaire de la population », ils interdisent désormais l’importation de farines qui ne répondraient pas aux mêmes garanties sanitaires que celles de la France.
On ne peut pas dire que ce soit une position très claire ! On hésite, mais on laisse faire ...
Enfin, tout en souhaitant une meilleure articulation dans ce domaine entre les dispositifs des pays de l’Union européenne, la commission d’enquête estime qu’il faut admettre que, confronté à « une menace de grave amplitude », un Etat puisse suivre l’avis de ses propres experts, même si cet avis conduit à prendre des mesures différentes de celles retenues à l’échelon communautaire.
Les pauvres, comme des singes
Pourquoi ne pas utiliser les pauvres comme singes de laboratoire ?
Greta van den Bempt, correspondante du Grain de Sable à Porto Alegre (Brésil) révèle que, lors du congrès annuel de l’AAAS (association américaine pour le progrès de la science) à Washington, l’Egyptien Ismail Serageldin, vice président des programmes spéciaux de la Banque Mondiale a fait les déclarations suivantes : « Les semences transgéniques qui reçoivent des gènes d’autres espèces pour devenir plus résistantes ou nutritives, doivent être distribuées en premier lieu GRATUITEMENT aux communautés les plus pauvres »
Certes, il se justifie : « la recherche dans ce domaine doit être dirigée avant tout vers le combat contre la faim dans le monde. Si aucun effort n’est fait dans ce sens, les chercheurs risquent de provoquer un »apartheid scientifique« car la technologie générée dans les pays développés n’est pas retransmise aux nations sous-développées. En 2020 nous devrons produire 40% de céréales de plus afin de nourrir la population mondiale. 15,9 % à peine seront nécessaires pour les pays développés. Il est donc important de faire avancer la recherche afin de produire des semences adaptées aux plus pauvres (sic !) et à l’environnement. »
En voilà un qui a trouvé LA solution, pour faire plaisir aux grosses boîtes de bio-tech et à Monsanto. Et en passant il trouve une solution pour nourrir (et bourrer de vitamines et d’OGM) les peuples affamés de notre jolie petite planète. (1)
Mais c’est formidable de voir comment, dans le même temps, les puissances financières mondiales (et les gouvernements), s’opposent à la mise en place d’une toute petite taxe, de 0,1 % par exemple, comme la taxe TOBIN, sur les transactions boursières, qui pourrait, elle, rapporter quelque 600 milliards de francs par an . Or on sait que les besoins fondamentaux d’eau, de nourriture et de santé des pays pauvres pourraient se résoudre avec un investissement initial de 80 milliards de francs.
On n’a donc pas besoin des Organismes génétiquement Modifiés pour aider durablement les pays sous-développés à émerger.
Mais les multinationales, elles, en ont besoin ! Et leurs actionnaires encore plus.
Coca Cola
Devant la Conférence Economique du marché commun des Etats d’Afrique qui s’est tenue au Caire, le vice-président de Coca-cola a annoncé, mardi 29 février, que sa société allait investir un milliard de dollars sur le continent africain dans les trois prochaines années. Pour aider au développement de la consommation de sa boisson. Quelques minutes plus tard, devant la même conférence, un représentant de l’organisation mondiale du commerce a révélé que 40 % des Africains vivent avec moins d’un dollar par jour (6,50 F par jour). La rencontre de deux mondes
(cité par Politis du 2 mars 2000)
Terminator : le retour.
En finir avec la vie gratuite
En 1845, le lobby des Fabricants de Chandelles, Bougies, Lampes, Chandeliers, Réverbères, Mouchettes, Éteignoirs, et des Producteurs de Suif, Huile, Résine, Alcool, et généralement de tout ce qui concerne l’Éclairage avait pétitionné les députés dans les termes suivants :
" Nous subissons l’intolérable concurrence d’un rival étranger placé, à ce qu’il paraît, dans des conditions tellement supérieures aux nôtres, pour la production de la lumière, qu’il en inonde notre marché national à un prix fabuleusement réduit ; car, aussitôt qu’il se montre, notre vente cesse, tous les consommateurs s’adressent à lui, et une branche d’industrie française, dont les ramifications sont innombrables, est tout à coup frappée de la stagnation la plus complète. Ce rival, qui n’est autre que le soleil, nous fait une guerre (si) acharnée ... Nous demandons qu’il vous plaise de faire une loi qui ordonne la fermeture de toutes fenêtres, lucarnes, abat-jour, contre-vents, volets, rideaux, vasistas, oeils-de-bœuf, stores, en un mot, de toutes ouvertures, trous, fentes et fissures par lesquelles la lumière du soleil a coutume de pénétrer dans les maisons, au préjudice des belles industries dont nous nous flattons d’avoir doté le pays, qui ne saurait sans ingratitude nous abandonner aujourd’hui à une lutte si inégale.
... Et d’abord, si vous fermez, autant que possible tout accès à la lumière naturelle, si vous créez ainsi le besoin de lumière artificielle, quelle est en France l’industrie qui, de proche en proche, ne sera pas encouragée ? "
Le lecteur aura reconnu des extraits du pamphlet célèbre de Frédéric Bastiat. Ce libéral avait pressenti le principe économique de notre modernité néo-libérale : toute activité gratuite, parce qu’elle lèse le secteur marchand correspondant, devra être soit interdite soit taxée à son profit.
Avec plaisir
Les êtres vivants commettent un crime impardonnable : ils se reproduisent et se multiplient gratuitement. Certains en éprouvent même du plaisir. Depuis plus de deux siècles, notre société livre à cette gratuité une guerre longtemps secrète dont la dernière bataille est en cours.
En novembre 2005, l’Assemblée Nationale unanime (sauf le groupe communiste) a transposé la Directive Européenne 98/44 qui dit que : Tout ce qui est transgénique est brevetable. Ce qui, comme le montre l’exemple nord-américain, mettra fin à la pratique fondatrice de l’agriculture, semer le grain récolté.
L’UPOV
En matière de semences agricoles, le facteur génétique n’a pas de prix
– sa valeur marchande est nulle car l’agriculteur le multiplie à satiété dans son champ,
– mais sa valeur sociale est inestimable.
Par exemple, le blé Etoile de Choisy, un clone de l’Inra, a, après la guerre, révolutionné la culture du blé en France.
Mais cette liberté des agriculteurs est mise en péril, suite aux pressions de l’UPOV (Union pour la protection des obtentions végétales). Et pendant qu’on amuse la galerie avec des infos répétées sur les poulets ou les chats malades de la grippe aviaire, des décisions sont prises au Parlement sans que la presse en fasse écho.
A l’origine l’UPOV était composée de grands agronomes agriculteurs passionnés par la plante et travaillant avec les généticiens/sélectionneurs de l’Inra (institut national de la recherche agronomique). Ce système fonctionnait bien. L’Inra pouvait faire respecter ce qu’il jugeait être l’intérêt public. Mais maintenant qu’un cartel de fabricants d’agrotoxiques contrôle les semences, l’Inra ne pèse pas lourd.
De plus, les gouvernements successifs ont mis directement les chercheurs au service de transnationales qui n’entendent pas se contenter des profits, somme toute modestes, que la redevance UPOV et la réglementation administrative offraient aux agronomes-sélectionneurs.
Le cartel exige maintenant d’en finir avec la reproduction gratuite des êtres vivants. Son but est de les stériliser par un moyen quelconque, administratif, réglementaire, biologique, ou légal.
En 2001, le gouvernement Jospin a pris une mesure inédite de lutte contre la gratuité de la nature, la « Cotisation Volontaire Obligatoire » (George Orwell aurait aimé cette expression) pour les semences de blé tendre. Que l’agriculteur sème le grain qu’il récolte ou qu’il achète des semences, il doit payer une redevance à l’obtenteur ! Ce dispositif sera étendu à d’autres espèces. Une commission estimera le prix de cette marchandise nouvelle, le « droit à semer ».
Pourquoi pas un « droit à respirer » ?
« Terminator »
Et voilà que revient une technique terrible, celle qu’on a surnommée « Terminator » : Les nouvelles variétés créées produiront des semences stériles, les fermiers ne pourront plus utiliser les semences provenant de telles plantes pour la culture de la saison suivante. Les semences pourriront en terre sans produire de nouvelles plantes. Cela forcera les fermiers à acheter de nouvelles semences chaque année à la même compagnie. En somme, le triomphe de la loi du profit sur la loi de la vie.
En 1998, Terminator avait soulevé une vague d’indignation telle que Monsanto avait dû annoncer qu’il abandonnait cette technique de stérilisation. Mais en octobre 2005, l’Office Européen du Brevet a accordé le brevet Terminator dans l’indifférence. Monsanto et ses concurrents/alliés travaillent d’arrache-pied à généraliser cette méthode.
Le traité de l’UPOV
Le traité de l’UPOV, en 1991, confère à l’obtenteur (c’est-Ã -dire à la société agro-chimique) le droit exclusif de produire, reproduire, conditionner aux fins de la reproduction ou de la multiplication, offrir à la vente sous toute autre forme, exporter, importer, détenir à une des fins ci-dessus mentionnées du matériel de reproduction et de multiplication de la variété protégée.
Ce traité a été adopté par le sénat, en France, le 23 février 2006. Le 7 mars, l’Assemblée Nationale en a discuté. En avez-vous entendu parler ?
L’Union Européenne, le lobby des agrotoxiques et le gouvernement font passer pour une opération de routine technique la stérilisation légale et gratuite du vivant au profit d’un cartel de fabricants d’agrotoxiques. En somme, le gouvernement demande au législateur de créer un privilège sur la reproduction des êtres vivants. Contre l’intérêt public. Contre celui des agriculteurs. Au profit de producteurs de poisons. Au nom du libéralisme !
Un privilège incite ceux qu’il lèse à tricher. La prochaine étape sera donc de créer une police génétique pour le faire respecter. En Amérique du Nord, Monsanto engage des entreprises de détectives privés pour débusquer les éventuels « pirates » et offre aux agriculteurs qui voudraient dénoncer leurs voisins une ligne téléphonique gratuite ( !).
Dans le même temps, la création d’un catalogue alternatif pour les variétés paysannes dites « de conservation » qui les protégerait de l’expropriation par le cartel, est au point mort.
L’agriculture biologique est menacée : elle a le tort d’utiliser la gratuité de la Nature plutôt que des semences ruineuses pour les humains, les sols, l’eau, bref, notre milieu de vie.
Une société totalitaire de délation est en gestation. De vote en vote, de règlement en règlement, de mesure en mesure, insensiblement, le législateur est aspiré dans une spirale funeste et détestable dont il ne voudrait à aucun prix si la propagande du cartel des chandelles transgéniques ne le trompait pas.
Messieurs les députés, ouvrez les yeux ! Nos libertés sont en danger. Ne confiez l’avenir biologique de nos enfants et de notre planète aux fabricants d’agrotoxiques !
D’après Jean-Pierre Berlan
Directeur de Recherche INRA
Source : Altermonde-levillage