Ecrit le 17 août 2011
On s’en fiche ... et on les fiche
Le monde va mal, très mal. Mais c’est la faute à qui ? Aux pauvres, évidemment, qui ont le culot de bouffer tout leur salaire, en nourriture, en déplacements, en loyers, en dépenses pour les enfants (et parfois en sorties de vacances). C’est vrai pour ceux qui travaillent et pire encore pour ceux qui n’ont que les allocs pour vivre. Ces derniers, c’est sûr, ils exagèrent !
Donc la Droite « populaire » (qui n’a de populaire que le nom !) nous ressert une vieille idée : « va falloir faire un fichier de ces mal-appris ! » . Un fichier national permettant de contrôler leurs faits et gestes, car, c’est sûr, ce sont tous des fraudeurs !
0,11 %
Les chiffres sont importants : 156 millions en 2010 ... voui, mais sur un total de prestations de 142 milliards d’euros. La fraude détectée ne représente guère que 0.11 %. Pas de quoi crier « au loup ».
En 2008, le gouvernement a créé une « délégation nationale à la lutte contre la fraude », sous l’impulsion du ministre Eric Woerth, Celle-ci vient de publier un rapport montrant que seuls 5% du montant de la fraude sont le fait des assurés (7,9 millions d’euros) ! En revanche, 45% sont dûs aux cliniques et hôpitaux, 8% aux infirmiers libéraux, 4% aux transporteurs, 3% aux médecins.
La délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF) indique par ailleurs que 367 notifications d’indus, représentant 38,7 millions d’euros, et 213 notifications de santions financières, soit 44,9 millions d’euros, ont été adressées aux établissements suite aux contrôles réalisés en 2009. A fin 2010, près des deux tiers des établissements ciblés ont été contrôlés et plus du quart des 70 000 dossiers présentent des anomalies, tout comme un tiers des séjours contrôlés dans les champs sanctionnables !
Le fichier existe déjà
Comment faire du neuf avec du vieux... Le ministre des Transports Thierry Mariani, ignore, sans doute, qu’il existe déjà un « répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS) », qui recense tous les bénéficiaires de prestations sociales. Il a été créé par la loi de financement de la sécurité sociale de 2007 et sa mise en place est encadrée depuis un décret de 2009 avalisée par la Cnil. Ce que s’est senti obligée de rappeler dans un communiqué la ministre des Solidarités et de la cohésion sociale, Roselyne Bachelot, précisant qu’au-delà de la « lutte contre toutes les formes de fraude à la sécurité sociale », ce répertoire « destiné à fiabiliser les informations déclarées par les allocataires va permettre d’avoir une photographie complète de la situation d’un assuré ».[]
Ce fichage passe mal, surtout en ce moment où la précarité progresse et où les projets du gouvernement pour réduire le déficit public font craindre de nouvelles coupes dans les budgets sociaux.
Surtout, à regarder les chiffres, n’est pas le plus fraudeur celui que l’on croit. Le PS a ainsi dénoncé « une insupportable manœuvre accusatoire ». Sur les 458 millions d’euros de fraudes à la sécurité sociale détectés en 2010, les fraudes aux prestations (RSA , allocation logement...) pèsent certes environ 55%, mais celles aux prélèvements (les employeurs ne déclarant pas) arrivent derrière avec 185 millions (soit 40 %) . Et on reste loin de la fraude aux impôts (2,5 milliards d’euros).
Après les critiques de Laurent Wauquiez sur le « cancer de l’assistanat » et sa proposition de faire travailler bénévo-lement les bénéficiaires du RSA , ce fichage des allocataires a du mal à passer.
Le président du Nouveau Centre, Hervé Morin, appelle à la prudence pour l’utilisation du fichier unique. « Ficher les plus pauvres à des fins électoralistes ne saurait être une réponse à la détresse de millions de personnes honnêtes qui aspirent avant tout à sortir de la spirale de l’exclusion », a-t-il estimé.
Pour la Ligue des droits de l’homme, cette annonce vise à donner, une fois encore, des gages à la droite « populaire », qui en a fait un de ses thèmes favoris, et, au-delà , à l’électorat du Front national. « Sous couvert de lutte contre les fraudes, la mesure vise à stigmatiser les plus démunis et les plus faibles comme autant de fraudeurs potentiels, tout en renforçant les instruments d’un contrôle social sans grand rapport avec l’idée de justice sociale, de justice tout court ».
L’ensemble des partis de gauche s’élèvent contre la stigmatisation des pauvres. faisant observer que la fraude aux prélèvements, d’origine patronale, est nettement supérieure à celle qui affecte les prestations sociales
Le porte-parole du Parti socialiste (PS), Benoît Hamon, a fait le calcul : « Fraude aux prestations sociales 2 milliards, fraude des employeurs aux cotisations sociales, 8 à 16 milliards. Le gouver-nement fiche les premiers, ignore les seconds », soutient-il. « Le fichage des pauvres, , marque le retour d’une époque que l’on croyait révolue, qui assimile les plus fragiles a des voleurs en puissance et traduit l’obsession liberticide du fichage généralisé de nos concitoyens. » estime pour sa part Marisol Touraine.
Au parti radical de gauche, Jean-Michel Baylet, souligne qu’ « il faut d’abord lutter contre la délinquance en col blanc avant de ficher nos concitoyens comme des voleurs »
« Cette consternante annonce a lieu au moment même où le Samu social se voit amputé par ce même gouvernement de moyens pour agir. Non seulement on met en danger les plus fragiles mais voici maintenant qu’on les suspecte d’es-croquerie » explique-t-on au Parti communiste. Pour le Nouveau parti anti-capitaliste (NPA), « l’essentiel de la fraude sociale est lié au travail au noir, beaucoup plus qu’Ã la fraude aux allocations (...) »
Ce fichier unique s’inscrit dans une dynamique de multiplication de fichiers et dans une logique de leur interconnexion, lourde de périls pour les droits et les libertés tant individuels que collectifs. ; conclut la Ligue des Droits de l’Homme.
Et à propos, il coûtera combien ce fichier ?
Deux autres fichiers
Le ministère de l’intérieur travaille à l’élaboration d’un nouveau fichier policier, cette fois axé sur la reconnaissance faciale. L’outil complète deux autres fichiers biométriques, le FAED (empreintes digitales) et le FNAEG (empreintes génétiques). Lors d’une enquête, « l’ordinateur ne livrera pas sur un plateau un suspect et un seul. Comme pour l’exploitation des empreintes digitales, il procédera par comparaison de points caractéristiques du visage (distance entre le nez, les yeux, les oreilles), proposant in fine une liste de possibles suspects classés selon un ordre de pertinence » relève Le Figaro du 11/08.
Un fichier des particuliers endettés pourrait être créé (selon La Croix du 3/08). Il pourrait concerner 25 millions de personnes, mais son utilité fait débat. La fédération bancaire française évoque un dispositif « complexe, très lourd pour les particuliers et les banques ». Ce fichier pourrai coûter 500 à 800 millions d’euros.
Le délicat équilibre entre la sécurité pour tous et la liberté de chacun va une nouvelle fois être mis à rude épreuve
Signalons également que la CNIL souhaite disposer de pouvoirs nationaux de contrôle étendus en matière de vidéosurveillance. La Commission demande en particulier que des études fiables soient menées afin d’établir avec précision l’efficacité des caméras dans la lutte contre la délinquance. « Un mécanisme d’évaluation de l’efficacité des systèmes de vidéo-surveillance dans les lieux publics est plus que jamais nécessaire ».
Mais allons donc plus loin. Pourquoi ne pas créer le fichier national des patrons délinquants (fraude à la TVA, employés non déclarés) : il serait bien plus rapide à mettre en œuvre et rapporterait aux dires même des services officiels quatre fois plus. Mais ça vote bien un patron, et ça peut même financer une campagne électorale ". Et pourquoi pas un fichier unique des politiques afin de savoir où va l’argent public savoir les cumuls de mandats, le montant des prestations, les avantages liés aux fonctions