Ecrit le 25 novembre 2015
La radicalisation djihadiste est-elle une ’’dérive sectaire’’ ? Nous invitons nos lecteurs à se reporter à l’excellent article de Henri Tincq :
Thème : le djihadisme est une dérive meurtrière de l’islam. L’étude des processus de radicalisation décrit aussi des phénomènes d’emprise, d’isolement et de manipulation mentale qui ne sont pas spécifiques à l’islam et existent de tout temps dans les grandes sectes religieuses. Voici des extraits de cet article :
« Comment vous sentez-vous à l’idée que vous partagez avec les suspects arrêtés par le FBI la même foi ? », demanda un journaliste, après les attentats du 11-Septembre, au boxeur américain Cassius Clay, converti à l’islam sous le nom de Mohamed Ali. « Et vous, rétorqua-t-il, comment vous sentez-vous à l’idée qu’Hitler partageait la vôtre ? ». ()
A tort ou à raison, le musulman « modéré » se sent tenu pour coresponsable d’actes commis et de discours prononcés au nom de l’islam par tous ceux qui, sur la planète, se revendiquent de cette religion. Son silence est diagnostiqué au mieux comme irresponsable, au pire comme complice.
() On ne manquera pas de s’étonner devant le paradoxe suivant : ce sont souvent les mêmes qui accusent l’islam de « communautarisme » et exigent des musulmans qu’ils se présentent et s’expriment tous comme une collectivité unique. c’est la reproduction du stéréotype qui présente les « musulmans » comme une totalité homogène. Un stéréotype qui est un déni de la réalité de l’islam, qui ne rend pas compte de la variété de ses courants, de ses écoles, de ses racines, de ses cultures. L’islam est beaucoup plus divers que la construction qu’en proposent souvent les médias.
Pour combattre cette pensée unique sur l’islam, de plus en plus d’observateurs s’emploient aujourd’hui à démontrer que si le djihadisme relève d’un appareil idéologique et politique bien identifié à l’islam sur les champs de bataille du Moyen-Orient, il ressemble aussi aux dérives de type « sectaire », de celles qui, dans les années 1970-1990, avaient défrayé la chronique. Des dérives bien connues, étudiées par la justice et les pouvoirs publics depuis les grandes tragédies de l’Ordre du temple solaire (avec sa vague de suicides en France en 1994) ou les multiples scandales de l’Eglise de scientologie.
Ainsi, une anthropologue comme Dounia Bouzar, qui a fondé en 2014 un Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam, écrit dans un livre intitulé Ces dérives qui défigurent l’islam (L’Atelier, 2014) que « la seule façon d’affaiblir les radicaux consiste à leur ôter leur justification qui est l’islam ». Pour cette scientifique musulmane, loin d’être un retour à l’islam authentique, les sectes djihadistes sont en rupture avec l’islam. Elles appartiennent à un courant religieux spécifique, indépendant d’une grande tradition religieuse. Il faut cesser de penser, dit-elle, que même si ce sont de « mauvais » musulmans, ce sont des musulmans quand même !
La gerbe devant la mairie
de Châteaubriant le 16 novembre
Une application qui remonte au 11-Septembre
l’application au djihadisme de ce modèle de la « dérive sectaire », remonte aux attentats du 11-Septembre aux Etats-Unis. Depuis, l’analogie n’a fait que progresser. Ainsi dit-on de plus en plus souvent que l’organisation terroriste fonctionne ’’comme une secte’’.
Et, en effet, dans tous les processus de radicalisation islamique étudiés par les spécialistes, on retrouve des mécanismes bien connus : manipulation mentale ; lavage de cerveau ; rupture avec l’environnement scolaire, familial, amical ; endoctrinement par internet ; embrigadement de jeunes et d’enfants ; discours antisocial ; troubles à l’ordre public ; lourd passé judiciaire ; mise en place de grosses sommes d’argent ; détournement de circuits économiques ; tentatives d’infiltration, etc.
Dans un livre paru sous le titre Radicalisation (La Maison des sciences de l’Homme, 2014), le sociologue Farhad Khosrokhavar, spécialiste de l’islam des prisons, décrit en détail la « dérive sectaire » des groupuscules djihadistes : l’individu, qui se perçoit comme « humilié », « victimisé », devient l’ennemi de la société au nom de la « religion des opprimés ». Peu importe la part de la réalité et celle de l’imaginaire, les perceptions priment et cette construction justifie la radicalisation.
Le sociologue relève aussi que ce n’est pas une connaissance effective de l’islam qui conduit au djihadisme. C’est au contraire une inculture profonde qui y mène. Pour Fahrad Khosrokhavar, ce sont le plus souvent des frustrations non religieuses qui se traduisent dans un répertoire religieux. Pour ceux qui ont suivi des parcours de délinquants avant d’embrasser le djihadisme, un islam ainsi mythifié « autorise la généralisation de la violence à la société entière ». Une violence qui devient « la voie royale de la réalisation de soi, en tant que chevalier de la foi contre un monde impie ».
Spécialiste des sectes, le Suisse Jean-François Mayer note aussi, dans son blog Religioscope, que le conflit en Syrie, accompagné du départ de volontaires étrangers, souvent très jeunes, pour combattre avec des groupes djihadistes, confirme le modèle explicatif des dérives sectaires. La radicalisation est très rapide et les familles sont sous le choc, écrit-il. Ces conversions au djihadisme, peuvent être le fait de jeunes issus de milieux musulmans, mais aussi de personnes sans arrière-plan musulman, et embrassant à la fois l’islam et, peu de temps après, le djihadisme. Une nouvelle génération d’aspirants djihadistes émerge, parmi lesquels se trouvent de potentielles recrues très jeunes et pour lesquels les réseaux sociaux jouent un rôle crucial."
Distinguer religion et secte
Dounia Bouzar distingue religion et secte. « Secte » vient du mot « couper ». « Religion » vient de « relier, accueillir ». « je regarde l’effet du discours religieux : dès qu’il permet de mettre en place une relation avec Dieu permettant à la personne de trouver son chemin et de vivre dans un espace avec les autres, c’est de la religion. Si l’effet du discours mène, au contraire, la personne à s’autoexclure et à exclure tous ceux qui ne sont pas exactement comme elle, on est dans l’effet sectaire » disait-elle dans une interview à Saphir News de mars 2014.
Abandons
Ces jeunes que nous découvrons ivres d’être, jusqu’Ã la mort des autres, jusqu’Ã leur propre mort, ils ont été élevés chez nous, en France, en Belgique. Elevés et abandonnés. ’’On’’ les laisse sans travail, on les laisse vivre vivre dans des quartiers plus ou moins défavorisés, on les laisse sans espoir.
A Châteaubriant par exemple, il n’y a rien pour les jeunes des quartiers, ceux qui n’ont pas les moyens de se payer le centre de loisirs ou les clubs sportifs : rien que la rue pour rencontrer les copains, aucune maison de jeunes, aucun centre social où ils pourraient côtoyer des adultes. Les éducateurs de rue, qui auraient pu aller à leur rencontre, dépister d’éventuelles radicalisations, ont été refusés par la municipalité qui, en revanche, a fourni un local et une animatrice pour le seuls 33 élus du Conseil Municipal des jeunes ...