Ecrit le 17 août 2011
Une future grand-mère
« Papa » !
La petite fille de 4 ans n’a pu retenir cette exclamation : une abeille vient de se poser sur son bras et, en très peu de temps, une nuée d’insectes bourdonnants l’ont suivie.
« Ne bouge pas, ma fille, j’arrive ! ». Le père, calmement, a posé sur chapeau au dessus des cheveux de la fillette, attirant ainsi l’essaim d’abeilles jugeant sans doute cet abri plus confortable que la peau d’une future grand-mère.
Cette histoire a été racontée bien des fois dans la famille pérès et, Patrick, le petit-fils, est apiculteur, par vocation. « En réalité, dit-il, j’ai fait des études supérieures et j’avais un bon poste dans une entreprise, mais j’ai eu envie de liberté, de mener ma vie comme je le voulais : les abeilles sont mes auxiliaires en ce domaine ».
Cela fait donc 27 ans que Patrick pérès est apiculteur. Tous les ans, dans le cadre des IdéeS’tivales, il accueille des centaines de visiteurs auxquels il offre, d’abord, des explications détaillées.
« Les abeilles, on les voit sur les fleurs, on sait qu’elles habitent dans des ruches, mais leur histoire est plus riche ! Une peinture rupestre préhistorique, située dans la grotte de l’araignée en Espagne, témoigne du lien très ancien entre l’homme et l’abeille. Datée de 6000 ans avant J.-C., cette peinture illustre l’importance du miel dans les civilisations de chasseurs-cueilleurs. On y voit une femme entourée d’abeilles récoltant une colonie d’abeilles sauvages en s’agrippant à une échelle de cordes. » explique-t-il.
En Turquie, à Çatal Huyuk (« la colline de la fourchette »), les habitants des premières cités néolithiques ont figuré une ruche parmi leurs nombreuses fresques (datation : 12 000 à 15 000 ans avant notre ère).
L’abeille existerait sur terre depuis 120 à 125 millions d’années, depuis qu’il y a des fleurs. (elle est plus ancienne que l’homme qui, lui, n’est apparu qu’il y a 3 millions d’années). C’est un insecte des pays chauds, construisant son nid dans les troncs d’arbres (rarement dans la terre). « Quand la Terre s’est réchauffée, les abeilles sont montées vers le Nord, vers nos régions et au delà ». Et elles donnent du miel et de la cire, et de la propolis, et de la gelée royale ....
Le miel est le cantique de l’amourLa substance de l’infiniL’âme et le sang plaintif des fleursCondensés à travers un autre esprit........... Federico Garcia Llorca
Avec du miel, on fait de l’hydromel (le chouchen breton ! la boisson des dieux !). La cire sert à nourrir le bois et parfumer les maisons, on l’utilise aussi pour la pharmacopée, l’éclairage, les activités artistiques. Avec la gelée royale, on récupère des forces. Savez-vous que le miel est un très bon cicatrisant ? Et que la propolis est un antibiotique naturel ?
La guinche et la ronce
« Pour se procurer plus facilement du miel, les hommes ont ramené les troncs creux près des villages, puis ils ont construit des ruches avec de la guinche et des écorces de ronce » explique Patrick pérès en montrant la ruche qui l’accompagne sur le marché. Mais, autrefois, la récolte était barbare : elle s’accompagnait souvent d’une destruction totale des rayons bâtis et de la colonie. Il suffisait d’écrabouiller et de presser les rayons (avec abeilles, œufs et larves...) pour en récupérer le jus et donc le miel après avoir étouffé toutes les abeilles en y brûlant une mèche de soufre !
Beaucoup plus tard un naturaliste suisse, François Huber, eut l’idée d’une ruche en feuillets et inventa inventée « la hausse », compartiment de ruche amovible et emboîtable, avec lequel on « rehausse » le corps principal de la ruche : les abeilles y bâtissent des rayons et y emmagasinent le miel dès que le corps de la ruche est plein. Seul le miel de ce « grenier à miel » est récolté, le couvain et les « réserves » de la colonie restant dans le compartiment principal. Patrick pérès utilise, lui, les ruches Dadant (du nom de l’inventeur) : des caisses carrées à toit plat, en bois, sur lesquelles peuvent s’emboîter une ou plusieurs hausses.
Les abeilles ne voient pas comme nous : pour elles le rouge est noir. « Je travaille donc souvent la nuit, avec une lampe rouge qu’elles ne voient pas ». En revanche, les abeilles voient les rayons ultra-violets : elles savent trouver le soleil au travers des nuages. Le jour, Patrick pérès travaille avec une tenue blanche (quand il fait chaud), un chapeau avec une voilette noire (on voit très bien à travers), des gants bien étanches qui sentent le miel ... et le feu.
« L’abeille ne pique que si elle se sent menacée. Pour ne pas prendre de risques inutiles, j’endors les abeilles avec un enfumoir où brûlent des aiguilles de pin, et puis je me place derrière la ruche pour enlever le toit plat ».
Le toit de la ruche est tapissé de propolis, une résine marron, créée par les abeilles pour boucher toutes les fentes inutiles. Le mot propolis viendrait du grec : « devаnt lа cÑ–té » faisant référence à lа résine plаcée à l’entrée de lа ruche pour prévenÑ–r l’Ñ–ntrusÑ–on de prédаteurs. C’est une colle forte : l’apiculteur qui souhaite détacher une « hausse » en sait quelque chose : il faut souvent un lève-cadre pour y arriver ! La propolis, diluée dans de l’alcool fait de l’excellent vernis (utilisé par exemple pour les violons Stradivarius).
Hexagones
Dans les cadres, les abeilles construisent des alvéoles, des hexagones réguliers. Les plus grandes cellules sont destinées aux femelles, c’est à dire aux futures ouvrières. Les plus grandes sont destinées aux futurs mâles. Les cadres de la hausse sont à changer régulièrement, les essaims se développant mieux dans des cadres neufs !
Les abeilles vivent dans le noir, seules les plus vieilles sortent. Durée de vie : 5 à 6 semaines l’été (et 5 à 6 mois l’hiver mais là elles ne font rien).
Pollinisation
Il existe 961 espèces d’abeilles en France. L’api melliica est celle que l’on trouve dans les ruches. Mais il y a bien d’autres sortes, par exemple l’abeille du lierre, qui vit dans la terre. Elle est rare mais ... on en trouve à Villepôt ! C’est une abeille solitaire : chaque femelle approvisionne son nid souterrain en pollen et nectar en toute tranquillité, et elles ne forme jamais de colonies comme chez l’abeille domestique.
L’abeille est très utile pour la pollinisation des plantes. Si on supprime l’abeille, on supprime la plante ! Un exemple : les gousses de vanille, utilisées pour parfumer les glaces et les pâtisseries, sont les fruits du vanillier, orchidée originaire du Mexique. La pollinisation directe est impossible car, dans la fleur, une cloison sépare l’étamine du pistil. Dans la nature, la pollinisation est assurée par une abeille mexicaine, la mélipone, qui pénètre dans la fleur et provoque ainsi la formation des fruits. Dans les îles où le vanillier fut introduit (Réunion, Antilles, Polynésie), l’insecte n’existait pas et la plante ne produisait pas de fruits ...
Le peuple de la ruche
"Dans une ruche, il y a UNE reine, 3000 mâles (faux-bourdons) et des ouvrières. La reine, fécondée, pond 3000 œufs par jour (un œuf par alvéole !) . Les ouvrières nourrissent les larves avec du miel et du nectar. Au bout de 21 jours, la jeune abeille sort.
Les abeilles font successivement tous les travaux communautaires : entretien de la ruche et des cellules ; puis nourrissage des larves ; puis construction des cellules en cire ; puis défense de la ruche ; et enfin récolte du nectar et du pollen, en finissant d’ailleurs par les tâches les plus risquées" explique notre apiculteur. Les butineuses explorent systématiquement les environs à la recherche du pollen (avec lequel seront nourries les larves) et du nectar (qui sert à faire le miel).
La reine n’a besoin d’être fécondée qu’une seule fois et c’est suffisant pour 3 à 4 ans qu’elle vivra ! Elle dispose d’une spermathèque importante dont elle se sert pour choisir le sexe de ses enfants ! Les femelles deviendront ouvrières. Une seule sera Reine et essaimera le temps venu, après le vol nuptial où elle aura été fécondée.
Le rôle des mâles : féconder la reine. Comme cela n’arrive pas souvent, ils mènent une existence de pachas oisifs et insouciants....Mais vers la fin du mois d’août, quand les magasins à miel sont quasiment pleins, quand la ponte de la reine tire à sa fin, quand la jeune Reine a essaimé, les mâles ne serviront plus à rien. Les ouvrières les chassent de la ruche ... Incapables de se nourrir seuls, ils périssent vite.
Les ennemis de l’abeille
– les oiseaux (hirondelle, Pic Vert)
– la guêpe, attirée par l’odeur du sucre
– le papillon « Fausse -teigne » qui, s’il arrive à s’introduire dans la ruche, pond ses œufs à la place des œufs de la Reine.
– le frelon (et maintenant le frelon asiatique).
– et les hommes (avec leurs insecticides chimiques !)
Utilité de l’action collective
Les frelons fondent sur les abeilles au moment où elles se posent avant d’entrer dans la ruche et les tuent avec leurs puissantes mandibules pour les manger. Les abeilles ont donc décidé de résister. Les abeilles d’Asie se rassemblent en grand nombre, entourent le prédateur en formant une boule autour de lui et le tuent en produisant de la chaleur à une température supérieure à la température létale du frelon !
Les abeilles de Chypre utilisent une méthode inconnue jusqu’ici : la technique de l’étouffement ! Un grand nombre de gardiennes (entre 150 et 300) enserre le frelon et bloque sa respiration, à la fois en empêchant ses mouvements respiratoires abdominaux et en recouvrant les orifices d’entrée et de sorties d’air.
Une apicultrice, le 30 juillet dernier, raconte : Intriguée par le comportement de deux de mes colonies d’abeilles je me suis demandée pourquoi certaines ouvrières restaient stationner sur la planche d’envol, battant des ailes, alors que les butineuses s’envolaient ou atterrissaient au milieu de cette effervescence.
Je me suis alors aperçue que plusieurs frelons rôdaient autour de ces deux ruches. Regardant de plus près j’ai alors eu un « haut le cœur » : C’étaient des frelons asiatiques ou Vespa Velutina !
Mes abeilles, en restant groupées et en faisant « masse », permettent aux partantes et aux arrivantes de ne pas être isolées et donc de ne pas être des cibles parfaites pour ces frelons prédateurs d’abeilles. ...
Quelques chiffres :
il peut y avoir 50 000 abeilles dans une seule ruche.
Elles produisent 30 à 40 kg de miel, l’apiculteur peut en récolter 20 kg. Le reste, 12 à 15 kg, est nécessaire pour nourrir les abeilles.
Un frelon mange une abeille en 5-6 secondes. Une vingtaine de frelons peuvent tuer une ruche de 50 000 abeilles en une demi-journée.
Patrick pérès possède une 400 ruches. S’il en met une dans un champ de blé noir, il n’aura que du miel de blé noir car les abeilles ne se dispersent pas. Le miel de blé noir est brun foncé, le miel d’acacia est liquide et très clair. Le miel de forêt est doré et très parfumé.
Les abeilles doivent visiter 200 millions de fleurs pour faire un litre de miel.
Pour produire un seul kilo de cire, les abeilles doivent consommer 7 à 10 kg de miel.
Pour faire le plein de nectar, une abeille spécialisée dans le trèfle doit visiter 1000 à 1500 fleurs successivement avant de revenir à la ruche .
Voilà voilà , et vous ne savez qu’une petite partie de cette extraordinaire aventure des abeilles. Il vous reste maintenant à protéger la biodiversité, pour garder ces ouvrières sensationnelles. « Car la situation est grave, dit Patrick pérès. Nous perdons actuellement 30 % à 50 % des colonies d’abeilles. Des produits chimiques comme le Gaucho et le Cruiser en sont responsables, d’autres facteurs jouent aussi. Si les abeilles venaient à disparaître, les hommes perdraient leur alimentation... » ... et la vie.
(en complément : relire le n°28-29 de La Hulotte, le journal le plus lu dans les terriers) et le blog : http://www.au-bal-des-avettes.com/ - Voir aussi la vidéo sur Japanese Bees Swarm Tactic
Une date à retenir : fête de l’abeille, le 10 septembre à Treffieux, au Lac de Gruellau.
Et bien sûr, l’an prochain, les visites guidées organisées par Patrick pérès à Villepôt - tél 06 82 37 27 08
Du miel artificiel ? Et puis quoi encore ? http://www.chine-nouvelle.com/presse/article/2305/Du_miel_artificiel_importe_de_Chine_pour_le_Ramadan_Y_atil_eu_arnaque_sur_lorigine_du_produit_.html
Abeille, sentinelle de l’environnement