Ecrit le 3 avril 2013
Le projet de loi sur le « mariage pour tous » : le gouvernement devait-il s’en saisir, ou attendre que les « vrais problèmes » soient réglés ? Tout dépend de ce qu’on entend par « vrai problème ». Le chômage sûrement. L’insécurité aussi (les deux sont liés d’ailleurs). La formation également, et la violence à l’école et ailleurs. Et puis les conditions de la vie en société. Tout est un « vrai problème », rien ne sera jamais complètement réglé, il importe donc de faire évoluer les conditions de vie et les opinions. En ce sens la loi sur le mariage-pour-tous est une nécessité. Il y a un million de personnes dans la rue contre cette loi ? Et lors ? Il y en avait aussi un million contre la réforme des retraites. Et il y en aurait eu plusieurs millions contre la loi abolissant la peine capitale, si un appel avait été passé à ce sujet.
Le rapport de Michelle Meunier
Pour faire le point sur cette loi, qui va revenir au sénat le 4 avril, il est très intéressant de lire le rapport établi par Michelle Meunier, sénatrice de Loire-Atlantique et publié le 20 mars : « Cette réforme n’ôte rien aux hétérosexuels » dit-elle, « elle oblige simplement - citoyens, responsables politiques, décideurs publics - à en finir avec les préjugés et à penser l’égale dignité des êtres humains ».
Le rapport retrace d’abord l’évolution du mariage dans le temps et le passage progressif de la notion de « famille » (le père, la mère, les enfants) à la notion de « familles » (familles classiques, familles monoparentales, familles recomposées, etc)
Le projet de loi mariage-pour-tous est une avancée égalitaire pour tous les couples et toutes les familles :
- a) L’égalité de tous les couples dans le mariage
- b) L’égalité de tous les couples dans l’accès à une parentalité conjointe par l’adoption
- c) L’égalité de tous les citoyennes et citoyens quelle que soit leur orientation sexuelle
Le projet de loi garantit la sécurité et la protection juridiques de tous les couples et de toutes les familles, un cadre juridique plus protecteur que le Pacs. Il met fin à l’insécurité juridique des familles homoparentales . On sait en effet que les familles homoparentales vivent aujourd’hui dans une situation que certains juristes qualifient « d’apesanteur juridique » : elles existent sans que les droits du parent dit « social », c’est-Ã -dire le parent qui est dépourvu de lien de filiation avec l’enfant mais qui participe à son éducation au même titre que le parent légal, ne soient reconnus.
Noter que l’expression « mariage pour tous » est un raccourci commode mais inexact. Il n’est pas question de donner le droit de se marier à toute personne le souhaitant : par exemple les interdits, tels l’inceste et la polygamie, demeurent. Laisser entendre le contraire n’a finalement pour but que de tenter de délégitimer le projet de loi aux yeux de l’opinion.
A l’étranger
A ce jour, les pays européens ayant légalisé le mariage entre personnes de même sexe sont les suivants : les Pays-Bas (en 2001), la Belgique (en 2003), l’Espagne (en 2005), la Norvège (en 2008), la Suède (en 2009), le Portugal (en 2010), l’Islande (en 2010) et le Danemark (en 2012). En dehors de l’Europe, d’autres pays ont suivi la même voie : le Canada (2005), l’afrique du Sud (en 2006), l’argentine (en 2010), dix états ou villes des Etats-Unis , etc
De l’avis général, aucun des pays qui ont ouvert le mariage aux couples de personnes de même sexe n’a connu de bouleversement majeur de la société. En mettant fin aux différences de traitement dont les personnes homosexuelles et les familles homoparentales faisaient l’objet, ces réformes ont partout contribué à un processus de « normalisation » de leur situation.
s’agissant de l’adoption, les exemples étrangers montrent que le droit des couples homosexuels à y recourir est peu mis en application.
Droits nouveaux
L’ouverture du mariage aux couples de même sexe a pour conséquence directe de permettre à une personne homosexuelle mariée d’adopter l’enfant de son conjoint . Par ailleurs le projet de loi a plusieurs incidences en termes de droits sociaux :
- - d’une part, certains droits liés au mariage (comme la pension de réversion) se trouvent automatiquement ouverts aux couples de personnes de même sexe ;
- - d’autre part, certains droits liés à la qualité de père ou de mère (comme le congé d’adoption ou la majoration de durée d’assurance pour enfant) doivent être adaptés aux parents de même sexe.
Réforme de l’adoption
Dans la suite de son rapport, Michelle Meunier a souhaité insister sur l’urgence d’une réforme globale du système de l’adoption. Car, dit-elle, « l’adoption est avant tout une mesure de protection de l’enfance qui offre une nouvelle filiation à un enfant - né en France ou à l’étranger - durablement privé de famille ».
A l’échelle mondiale, le nombre d’adoptions internationales n’a cessé de croître depuis les années 1980, mais les difficultés sont nombreuses. En France on note la baisse du nombre des pupilles de l’Etat et des pupilles présentés à l’adoption. Le rapport Colombani invite, à juste titre, à s’interroger sur ces baisses : « traduisent-elles le succès des politiques de protection de l’enfance qui auraient réussi à prévenir les séparations des enfants de leurs familles ou, à l’inverse, témoignent-elles d’une incapacité ou d’une impuissance collectives à envisager l’adoption dans l’intérêt de l’enfant ? »
On sait qu’il existe des cas de maltraitance ou de délaissement pour lesquels le maintien des liens avec la famille est contraire à l’intérêt de l’enfant. Aussi, Michelle Meunier demande que soient étudiées les différentes solutions permettant une meilleure prise en compte de l’enfance délaissée à l’échelle nationale. « Un placement, même satisfaisant, ne remplacera jamais l’inscription d’un enfant dans une filiation pour la vie ».
Adoption et procréation
Michelle Meunier propose une évolution du droit de l’adoption : « tous les couples, qu’ils soient hétérosexuels ou homosexuels, pourraient recourir à l’adoption, tout en ayant le choix entre le concubinage, le Pacs et le mariage ».
Michelle Meunier demande aussi une évolution du droit à la filiation qui « doit s’affranchir du modèle biologique pour tenir compte de l’évolution des configurations familiales ».
Dans cette perspective, plusieurs réformes seraient souhaitables :
- - construire un statut du tiers, beau-parent ou coparent ;
- - ouvrir l’adoption aux couples non mariés ;
- - permettre l’assistance médicale à la procréation (AMP) aux couples de femmes.
A ce jour, l’accès à l’AMP (assistance médicale à la procréation)est réservé aux seuls couples composés d’un homme et d’une femme et qui, pour des raisons médicales, ne peuvent concevoir un enfant. Michelle Meunier est favorable à l’extension de l’AMP aux couples de femmes et ce, pour trois raisons.
1) Au nom, tout d’abord, de l’égalité des projets parentaux entre couples hétérosexuels et couples homosexuels.
2) Il y a ensuite une forme d’hypocrisie à valider par l’adoption intrafamiliale, permise par le présent projet de loi, les projets parentaux réalisés par AMP à l’étranger, sans permettre que ceux-ci puissent être réalisés en France.
3) Enfin il faut mettre un terme aux risques sanitaires qu’induit la législation actuelle. Aujourd’hui, les femmes lesbiennes qui souhaitent avoir un enfant ont trois solutions : soit, si elles en ont les moyens financiers, elles recourent à une AMP à l’étranger, soit elles ont des relations sexuelles avec un homme, soit elles achètent du sperme sur internet et procèdent à une insémination « artisanale ». Dans tous les cas, des risques sanitaires existent, qui ne sont pas sans rappeler ceux qu’encouraient les femmes lorsque l’avortement était interdit en France.